Michel Tremblay, auteur des truculentes Chroniques du Plateau-Mont-Royal, vient de sortir Le Trou dans le mur aux éditions Leméac/Actes Sud . De passage à Paris, il a répondu à notre curiosité, avec humour, gentillesse et… son beau parler québécois.
Votre œuvre compte plus d’une soixantaine de titres – pièces, romans, récits… Un vrai foisonnement !
L’écriture vient de mon besoin fondamental de comprendre le monde. Elle me permet de me l’expliquer à moi-même, sans que ce soit toujours un processus conscient. Tout comme lorsque l’on rédige une lettre à un ami : ce n’est pas tant à l’autre que l’on s’adresse qu’à soi-même. C’est pourquoi j’évoque ce qui me choque, ce que je saisis mal, telle la mort dans mon dernier roman. Je n’ai pas peur de manquer d’inspiration ! L’écriture est une insurrection contre ce qui nous dépasse. C’est aussi pourquoi je reprends mes personnages d’un livre à l’autre depuis quarante ans, les tuant, les ressuscitant, les rajeunissant… Ils étaient probablement des mystères et j’ai fouillé à l’intérieur d’eux jusqu’à ce que je commence à les connaître, qu’ils deviennent presque des êtres réels.
Le héros de votre dernier roman découvre un « trou dans le mur » qui le mène à un inquiétant purgatoire : les cinq âmes qu’il y croise, à la fois tristes et drolatiques, lui content les secrets de leur existence. A quoi correspond ce passage dérobé?
C’est d’abord un artifice littéraire dans la tradition des romans fantastiques, d’Edgar Poe à Lewis Carol. Mais la différence ici, c’est que les histoires révélées par les personnages sont hyper réalistes. D’où l’ambiguïté qui plane du début à la fin : mon héros est-il fou ou cet univers est-il réel ? En réalité, ce purgatoire fut un exutoire – pour mon protagoniste, comme pour moi, car je sortais d’un cancer en rémission. A l’instar du rêve qui nous purge des «toxines» du quotidien, cette projection d’un univers qui incarne nos angoisses profondes nous libère de celles-ci.
Vous sentez vous dramaturge ou romancier ?
Les deux : j’écris du théâtre quand j’ai envie de crier des injures au public, j’écris des romans pour raconter une histoire à mon meilleur ami…
Certains critiques littéraires vous ont décrit comme un écrivain subversif…
Écrire, pour moi, c’est effectivement poser une bombinette voire…une bonne grosse bombe ! Au début de ma carrière, j’ai voulu faire exploser la famille québécoise telle que la société nous l’imposait, et notamment la religion catholique.
Et aujourd’hui, vous êtes plus « pacifique » ?
Je change les bombes de place tous les dix ans (rires). Mais cette nécessité motive toujours mon écriture. La pièce que je viens de terminer remet ainsi en question l’idée que l’homosexualité, aujourd’hui, est complètement acceptée par la société. Je pense que ce n’est pas tout à fait vrai, même si les mentalités ont évolué. J’ai donc imaginé un couple d’homosexuels âgés de 16 ans à travers le temps : l’un des deux vit en 1957, l’autre en 2007. Les deux époques étant mêlées, le spectateur compare les réactions des parents face à l’homosexualité de leur fils : ceux de 1957, catholiques, ne veulent pas le savoir ; ceux de 2007, qui sont censés la comprendre, sont incapables d’en parler.
Un certain nombre de vos romans évoquent le thème de l’homosexualité. Vous définissez-vous comme un écrivain militant ?
Ponctuellement et ouvertement j’en parle, mais pas avec un drapeau à la main. Je le fais toujours de façon à ce que tout le monde puisse s’identifier à mes personnages. Dans Le cœur découvert, publié en 1986, deux hommes élèvent un enfant. C’était la première fois qu’un roman mettait en scène deux hommes qui, non content de vivre ensemble, étaient parents, sans qu’on les lapide. C’est ma façon d’être militant : en douceur et en écrivant des histoires que même les straight les plus straights peuvent partager.
Propos recueillis par Stéphanie Arc
Michel Tremblay, Le Trou dans le mur, Leméac/Actes Sud, 2007