Ce dimanche 20 juillet à Melbourne débutera la 20e conférence internationale sur le sida. Bilan de l’épidémie, des traitements et des espoirs de vaccin avec Monsef Benkirane, directeur de recherche CNRS à l’Institut de génétique humaine de Montpellier.
Note : au moins six des 298 passagers du vol Malaysia Airlines, qui s’est écrasé en Ukraine le jeudi 17 juillet 2014, se rendaient à la 20e conférence internationale sur le sida (juste après le crash, la presse australienne avait d’abord annoncé qu’il s’agissait d’une centaine de personnes). Parmi eux se trouvait le médecin et chercheur néerlandais Joep Lange, ancien président de la Société internationale sur le sida et éminent spécialiste de cette maladie. Sa disparition a été confirmée.
Où en est-on de l’épidémie du sida aujourd’hui ? Qu’en est-il des traitements actuels et de leurs limites ?
Monsef Benkirane : En France, le nombre de personnes vivant avec le Virus de l’immunodéficience humaine (VIH) est estimé entre 120 000 à 180 000, dont 38 000 à 50 000 femmes. À l’échelle mondiale, environ 35 millions de gens vivent avec le VIH, un chiffre en augmentation car le taux de mortalité des personnes infectées décroît grâce aux traitements antirétroviraux (ARV). Le sida reste donc à ce jour une épidémie majeure. Rare éclaircie au tableau, le chiffre 2013 de 2,1 millions de nouvelles personnes contaminées dans le monde (contre 2,2 millions en 2012) est en recul de 27,6 % depuis 2005. Cette tendance à la baisse est due principalement à l’arsenal thérapeutique constitué d’antirétroviraux développés ces dernières années. Ils permettent une meilleure prise en charge et de plus en plus de personnes ont accès à ces traitements. Cependant, ces ARV ne protègent les personnes infectées que dans la mesure où elles les prennent tous les jours de leur vie. Le poids des traitements dans la vie des patients, comme pour la société qui les prend en charge, est donc énorme. L’idée serait par conséquent de parvenir à la guérison, c’est-à-dire à l’élimination du virus. Mais cela, malheureusement, réclamera encore un long effort de recherche. Il nous faut trouver des pistes nouvelles sur les mécanismes de la multiplication du virus et sur les réservoirs (ou « sanctuaires ») du virus qui se maintiennent en dépit des traitements antiviraux. Toutefois, comme pour les cancers, à défaut d’éliminer totalement le mal, il est concevable d’obtenir une rémission de l’infection au terme d’une période de traitement. Les modèles existent, bien que, là encore, la recherche doive encore progresser dans ce domaine.
Vous-même, vous travaillez sur la maladie depuis plus de quinze ans…
M.B. : Depuis que j’ai créé l’équipe Virologie moléculaire, en 1998, nous travaillons à comprendre la persistance du VIH, ainsi que la résistance des cellules à ce virus. Notre laboratoire a déchiffré quelques-uns des mécanismes importants menant à la latence virale dans les cellules de patients infectés sous thérapie suppressive. De plus, nous voulons comprendre pourquoi certaines cellules ne permettent pas une infection productive par le VIH, c’est-à-dire ne permettent pas la production de nouvelles particules virales, et cela malgré l’expression des récepteurs du virus.
Justement, vous avez reçu le prix Liliane Bettencourt 2013 pour vos résultats sur ces cellules…
M.B. : Il y a deux types de cellules connues pour leurs résistances à l’infection par VIH-1 1 : les lymphocytes T CD4+ au repos et les cellules de la lignée myéloïde, telles que les monocytes, les macrophages et les cellules dendritiques. Notre laboratoire a identifié SAMHD1 comme le gène de résistance dans ces cellules. SAMHD1 empêche la conversion de l’ARN viral en ADN, une étape clé du cycle réplicatif viral. Cette découverte a également eu un impact important sur notre compréhension du syndrome d’Aicardi-Goutières (AGS), un trouble neurologique dû à une réponse immunitaire innée chronique, causée par des mutations dans le gène SAMHD1. La découverte de ce gène qui permet la résistance des lymphocytes T CD4+ au repos au VIH pourrait aussi nous renseigner sur l’établissement des réservoirs du virus, qui représente un obstacle majeur à son éradication par les thérapies actuelles.
Peut-on réellement envisager une fin de l’épidémie ?
M.B. : Nous savons depuis quelques années que le traitement du sida avec les ARV est un moyen de prévention très efficace. Dans un monde idéal, si toutes les personnes infectées par le VIH étaient traitées, on pourrait parvenir à éradiquer l’épidémie à l’échelle globale. Malheureusement, nous ne sommes pas dans un monde idéal. En effet, très peu de personnes infectées par VIH ont accès aux traitements, notamment en Afrique et en Asie qui concentrent 90% des personnes infectées. A l’échelle individuelle, le vaccin préventif et/ou thérapeutique doit rester une priorité dans la lutte contre le VIH-1. Les candidats vaccins testés à ce jour, bien qu’ils induisent une réponse immunitaire, ne permettent pas de protéger contre le VIH. La difficulté réside donc dans le fait que ce vaccin va devoir faire mieux que notre propre immunité, ce qui est un cas unique dans les maladies infectieuses. Nous savons aujourd’hui fabriquer en laboratoire des anticorps capables de neutraliser la quasi-totalité des souches virales du VIH. Il serait important de savoir comment faire en sorte que les patients puissent produire ces anticorps eux-mêmes, que ce soit en éduquant leurs lymphocytes B ou grâce à des approches de thérapie génique ou cellulaire.
On parle beaucoup aussi d’un réservoir viral pratiquement indétectable…
M.B. : C’est vrai l’existence de ce réservoir insensible aux traitements et invisible au système immunitaire est l’obstacle majeur à l’éradication du VIH par les ARV. Il est donc nécessaire de développer des stratégies thérapeutiques pour l’éliminer (éradication complète) ou le rendre contrôlable par le système immunitaire pour obtenir une rémission. Aujourd’hui, nous avons les preuves que ces deux pistes sont possibles. La première, c’est le patient de Berlin. Ayant reçu une transplantation de cellules souche hématopoïétiques n’exprimant pas le corécepteur du VIH pour soigner sa leucémie myéloïde aigue, cet homme, qui était porteur du VIH, ne montre plus aucune trace du virus sept ans après. Pour la seconde, une récente étude française d’une cohorte de patients traités très tôt après la primo-infection (Cohorte VISCONTI) a montré une rémission chez 15 % d’entre eux. Il est important de comprendre les mécanismes moléculaires et cellulaires à l’origine de cette rémission.
Quels sont vos objectifs de recherche actuels et à venir ?
M.B. : Nos projets visent toujours à comprendre la persistance virale ainsi que le rôle de SAMHD1 dans le sida. Or, travailler sur le réservoir viral n’est pas une tâche facile. Tout d’abord, le nombre de cellules qui le constituent est très faible : une cellule sur un million ! Ensuite, il n’existe pas de marqueur qui les différencie des cellules non-infectées. Et nous n’avons aucun moyen d’isoler ces cellules pour comprendre sous quelle forme et par quel mécanisme elles ne produisent pas de virus. Les chercheurs utilisent donc des modèles dérivés in vitro. Mais une question demeure : est-ce que ces modèles reflètent bien la situation in vivo (chez les patients) ? Nous voulons être en mesure de localiser, de purifier, de trier ce réservoir viral et d’étudier sa dynamique afin de proposer des stratégies grâce auxquelles le cibler. Nous travaillons ainsi sur le développement d’un modèle animal nous permettant de travailler sur le réservoir établi in vivo.
Pourquoi vous êtes-vous intéressé au VIH ?
M.B. : Le VIH et le sida ont constitué dès les années 1980 un défi scientifique et médical qui a mobilisé les chercheurs, les médecins et le tissu associatif autour d’un objectif : combattre ce virus mortel. Je voulais absolument faire partie de cette entreprise humaine. De plus, j’ai toujours été attiré par la virologie. Elle permet en effet non seulement de comprendre le cycle de réplication des virus et les pathologies associées afin d’élaborer des traitements efficaces, mais aussi la biologie de nos cellules. Du fait qu’ils soient entièrement dépendants de la cellule hôte pour se multiplier, les virus se sont parfaitement adaptés à nous. Ils nous connaissent mieux que nous-mêmes… Ils représentent donc un outil formidable pour saisir le fonctionnement de l’organisme.